Pour les articles homonymes, voir Travail en perruque (homonymie).
Selon
Pierre Perret, dans
Le parler des métiers, la perruque consiste en un « bricolage personnel fait à l’
Atelier, au détriment de l’
Entreprise ».
Selon Denis Poulot dans Le sublime « faire une perruque, c’est travailler pour soi ». Denis Poulot, ancien Contremaître devenu Patron, rédige son livre en 1870. Il devait bien connaître cette pratique, et sans doute l'avoir utilisée ou observée des deux côtés de la barrière.
Michel Anteby résume le travail en perruque à « la production en usine d'objets à usage personnel, réalisés sur temps de travail ».
Pour être le plus général possible, on peut définir l'expression travailler en perruque comme travailler pour soi au sein d'une entreprise.
Cette définition présente l'avantage de ne pas mentionner si c'est au détriment de l'entreprise, si la perruque n'est réalisée qu'avec le matériel, les machines, les outils de l'entreprise ou bien aussi avec les matériaux achetés par l'employeur, ou bien encore avec le carnet d'adresses des clients. Donc de ne pas préciser les ressources qui sont utilisées.
Pour Robert Kosmann on peut définir la perruque comme : « L'utilisation de matériaux et d'outils par un travailleur sur le lieu de l'entreprise, pendant le temps de travail, dans le but de fabriquer ou transformer un objet en dehors de la production régulière, de l'entreprise ». C'est, ici, une forme de résistance à un travail aliéné, par la réappropriation d'un savoir faire professionnel récupéré sur le temps et les matériaux du patron.
Le fait de dire travailler pour soi peut aussi être sujet à discussion, quand la perruque est réalisée en faveur d'un membre de la Hiérarchie ou d'une personne qui part à la retraite. Mais en fait, cela revient quand même à travailler pour soi-même, de son propre chef, à une Tâche qui ne fait pas partie de la Production officielle de l'entreprise.
Origine
L'expression
travailler en perruque, et le mot
perruque pris dans le sens de travail fait « en douce », maquillé, datent du XIX
e siècle. Ils ont vraisembablement un lien avec la perruque de faux cheveux, le
Postiche. Mais l'étymologie du mot perruque est elle même incertaine, d'après
Alain Rey.
Le mot perruque a lui même plusieurs significations, selon les métiers. Pour un coiffeur, c'est un postiche, pour un pêcheur, c'est une ligne emmêlée, pour un bijoutier c'est un amas de fil de fer sur lequel il soude. Pour un plombier c'est la filasse qui sert à « étanchéifier » les filetages, « de la blonde » d'après Pierre Perret.
Toutes ces utilisations du mot perruque décrivent bien un objet assez confus, qui a des applications destinées à masquer quelque chose, difficile à décrire, mais dont l'Argot de chaque métier (ou le Jargon), n'aura aucune peine à inventer des synonymes.
Expressions équivalentes
Le travail en perruque peut aussi s'appeler, d'après Étienne de Banville, « travail en sous-sol », « travail de la main gauche », « travail en douce », « travail masqué ».
Toujours selon Étienne de Banville, à « perruque » correspondent des termes propres à certaines régions : « bricole » à Nantes, à Montbéliard, « casquette » à Tulle, « pinaille » à Sochaux-Montbéliard.
A noter : le « travail masqué » ne signifie pas la même chose que l'expression « travailler en temps masqué ». En effet, travailler en temps masqué, c'est réaliser une opération de fabrication en parallèle d'une autre Opération, pendant qu'une autre opération se déroule, et dans un temps inférieur ou égal à celle-ci. Mais il y a là une similitude qui ne peut laisser indifférent. La perruque s'effectue traditionnellement pendant les heures de travail, sans nuire au travaux officiels, aux tâches. En temps masqué ?
La perruque en quelques exemples
Tristan Nitot, bien connu dans le monde du
Logiciel libre, nous décrit sur son blog, le lancement du
Microprocesseur PowerPC dans le Mac, effectué en perruque chez Apple. Si les «
hackers » sont bien des bidouilleurs, des bricoleurs de génie, ils le sont bien ici au sens « perruqueurs » qui font de la bidouille, de la bricole, donc de la perruque, c’est-à-dire des travaux en douce. Combien de logiciels n'ont-ils pas été élaborés dans des conditions plus que limites, au nez et à la barbe de patrons insouciants ou discrètement complaisants ?
Une entreprise de construction de machines-outils, du centre de la France, était connue (années 1960) pour avoir été « victime » d'une perruque très organisée, qui consistait à fabriquer des motoculteurs pour ses employés. Les pièces mécaniques faisaient l'objet de bons de travaux des plus réglementaires. Il ne manquait que la chaîne de montage !
Les entreprises de l'Aéronautique sont concernées. Elles sont ou étaient coutumières du travail en perruque. Ceci est probablement dû à l'abondance et à la qualité des machines et des ouvriers. Il semblerait que la perruque y soit pratiquée pour réaliser des cadeaux de départ à la retraite. La SNECMA a même organisé une exposition des oeuvres.
La Construction navale est aussi un bon atelier pour équiper son domicile en meubles de teck. Il serait dommage de ne pas utiliser les chutes.
Presque toutes les professions sont sujettes à la perruque. Il est difficile de trouver des traces de ce phénomène dans l'Agriculture. Comme il est impossible de faire pousser des feuilles de tabac dans un champ de choux sans que le Paysan s'en aperçoive, il est plus facile pour tout le monde d'officialiser la chose : prêt de machines agricoles aux ouvriers agricoles qui ont un peu de terrain à eux, don de plants, de semence. En contrepartie, certaines heures supplémentaires sont réalisées bénévolement.
Dans le métier de la pêche, il existe une pratique proche du travail en perruque, qui est « faire de la Godaille ». Le patron pêcheur laisse à ses marins les produits de la pêche, poissons, crustacés, coquillages qui présentent des défauts, une patte en moins, une araignée faible et qui ne seraient pas vendus à la criée. L'opération s'effectue pendant le TRI, et se différencie de la perruque par le fait qu'elle est ouvertement acceptée par le patron. Seuls les critères de tri sont sujets à controverse. Le poids de la godaille est réglementé. C'est une utilisation tolérée des rebuts, des chutes, comparable à ce qui est admis dans l'industrie.
Alain Rey cite aussi la perruque d'État, le détournement du matériel de l'État (1858). De nos jours on parle d'abus de biens sociaux.
Les relations entre perruqueurs et perruqués
C'est le sujet principal de la thèse de Michel Anteby : l'étude des interactions semi-clandestines en usine.
Ce qui suit n'est pas un résumé de cette thèse, mais des constatations qui se fondent en partie sur son étude.
Le travail en perruque trouve à l'origine sa justification pour les ouvriers, par le fait qu'il leur permet de réaliser des outils que leur patron ne veut pas leur acheter. Ils réalisent ces outils, qui sont utiles à l'entreprise, avec les matériaux et les machines de l'entreprise. Le patron ferme les yeux. Il ignore cette perruque, du moment que ces ouvriers ont fait leurs tâches allouées dans les temps requis. Le perruqué est gagnant. Le perruqueur, qui le sait, en profite pour faire des outils pour lui-même. Le perruqueur est gagnant. Tout le monde est gagnant. Mais personne n'en parle. Car les temps alloués sont les temps alloués. Jusqu'au jour où ils deviennent plus courts. Alors l'ouvrier imagine de nouveaux dispositifs qui vont lui faciliter le travail. Il les réalise sans instruction de la hiérarchie, etc.
Il s'établit progressivement une Interaction positive pour l'entreprise. Elle va des relations entre les compagnons au respect entre les niveaux hiérarchiques. En effet, pour que le travail en perruque perdure, il faut qu'il soit perçu comme globalement positif par la direction de l'entreprise. La perruque est un secret de Polichinelle, mais elle peut servir d'arme, d'argument, pour le perruqueur comme pour le perruqué, en cas de licenciement dont le motif est fondé sur une activité dissimulée, ou le vol, effectués par un salarié. Le salarié se retranche derrière le fait que ce comportement est généralisé.
Les employeurs, les cadres d'une entreprise sont parfois ouvertement générateurs de travaux en perruque. Quelques petits services, quelques bricolages réalisés pour un cadre, créent un sentiment de normalité pour ce genre de comportement. Si le chef me demande cela pour lui, je peux bien le faire pour moi. Il se crée une sorte de complicité qui peut s'avérer bénéfique ou malsaine suivant l'importance des travaux ainsi réalisés. La perruque doit rester marginale.
La perruque est une sorte d'avantage en nature pour le salarié. Les patrons ont des dîners d'affaire, des voitures de fonction. Les employés n'ont que des tickets restaurant, ou la cantine. La perruque devient une Compensation.
La véritable perruque est parfois camouflée par de la fausse perruque (sans jeu de mot). Les perruques de retraites, offertes à ceux qui partent à la retraite, sont exposées aux yeux de tous. Les perruques « de tous les jours » restent discrètes. Elles ne constituent donc pas un rapport de force entre le perruqueur et le perruqué.
Les auteurs s'accordent pour écrire que le travail en perruque est en voie de disparition, du fait des méthodes modernes d'organisation du travail et de la disparition d'une certaine corporation, celle du Compagnonnage. Ceci est peut-être vrai dans la construction mécanique, mais d'autres métiers semblent avoir pris le relais.
Les employés qui travaillent à la chaîne ou en flux tendu n'ont pas de temps masquable. Mais cela ne concerne qu'une partie des salariés.
Les autres formes de « travail dissimulé »
- Le travail dissimulé illicite
- On ne peut pas considérer que le travail au noir, ou le travail clandestin soient des travaux en perruque, puisqu'il n'est pas réalisé sur son lieu de travail habituel, pour le premier, et fait sous la direction d'une organisation, pour le second.
- Les imputations incorrectes des heures passées
- Attribuer, imputer les heures passées à l'étude d'un projet à un autre projet, c'est en quelque sorte travailler en perruque sur une affaire au détriment d'une autre. Ce n'est pas une véritable perruque, car ce n'est pas travailler pour soi.
Cette manipulation est généralement réalisée quand un projet a été sous-évalué .
Sources
Voir aussi
Article connexe
Liens externes
Bibliographie
- Robert Kosmann, La perruque, un travail détourné in « Histoire et Sociétés », n°17, janvier 2006
- Robert Kosmann, La perruque ou le travail masqué in « Renault Histoire », n° 11, juin 1999
- Robert Kosmann, Photos et textes sur le site de l'exposition parallèle de la Biennale de Paris, site créé par Jan Middelbos, [#] et [#]